Juin-juillet 2014

Liégeois, j’ai le privilège de prendre le train au départ de la gare Calatrava, comme l’indique mon ticket de parking.
Son nom de ‘gare des Guillemins’ lui venait du temps où, depuis le XIIIe siècle, les disciples de saint Guillaume occupaient le lieu. Certes, il y a peu, elle a bien failli être officiellement rebaptisée. On avait pensé à ‘gare Liège Limbourg’…
L’idée était sympa pour le rapprochement communautaire, mais un nom, on ne le change pas comme çà.
Et puis, je ne veux pas parler que de noms, mais aussi de ‘on’
Quand on pense à un on, qui se trouve derrière ce on ? Qui a dans son rôle de donner un nom ? Il est communément admis que le géniteur donne un nom à son enfant, et le propriétaire à son bien. Le maître de l’ouvrage devrait donc pouvoir donner un nom à son bâtiment. Mais est-ce bien là le rôle des mandataires publics qui s’étaient lancés dans l’exercice ?
Quand on pense à un nom, qui se trouve derrière ce nom ? J’admets que l’architecte a dessiné la nouvelle gare avec un certain talent car, une fois entré, je trouve le lieu magnifique, n’en déplaise à ceux qui s’attendent à me voir vitupérer l’objet. Etrange toutefois que son nom apparaisse sur mon ticket de parking… Où est le problème ? On sélectionne un architecte spécialisé dans les gestes architecturaux ostentatoires,  on le charge de traduire une demande démesurée d’orgueil, on obtient un bâtiment hors de propos par sa taille et sa double symétrie… (Dans les 3 cas, cherchez le on)
Cette construction pharaonique méritant des abords à sa mesure, le maître de l’ouvrage s’est alors fendu d’une proposition d’aménagement de l’espace public, en l’absence de pensée publique pour l’aménagement de l’espace… Mais en démocratie, quel est le rôle de chacun ? Qui oriente la planification de l’espace public ? Qui établit les hiérarchies ? Qui rassemble les savoirs, les compétences, les énergies ? Le rôle de l’architecte est-il limité à la demande du maître de l’ouvrage ? Le rôle de celui-ci est-il d’organiser l’espace public alentour ou de chercher à s’inscrire dans un projet plus large ?
Mon questionnement ne vise pas directement la pertinence de la gare Calatrava, que je prends ici comme simple exemple du rôle que chaque acteur joue dans le partenariat d’un projet. En son temps, Claude Strebelle a été porté aux nues comme le Sauveur de la Place Saint-Lambert, puis montré comme le diable aussitôt que deux tours d’ascenseur furent bétonnées, composant pourtant une ravissante symétrie avec les ailes latérales du Palais. Pourquoi diaboliser l’homme ? Il n’était que l’architecte, l’auteur d’un projet dont bien peu connaissent le maître de l’ouvrage, acteur qui avait cette fois choisi l’effacement et la non -communication comme attitude et comme rôle.
Autre souvenir, ce billet de l’Echevin liégeois de l’Urbanisme en 2002, qui se félicite : “Après les investissements des pouvoirs publics en rues, places, gare de bus et autres Archéoforum, le secteur privé ne s’est pas fait attendre : construction hier de l’Ilot Saint-Michel et aujourd’hui des Galeries Saint-Lambert. […] Cette tactique de la tache d’huile qui semble si bien réussir à notre Ville […], nous comptons bien la reproduire chaque fois qu’un événement urbanistique – d’origine publique ou privée – nous en laissera l’opportunité…
Ce pragmatisme, cet opportunisme diront certains, nous permet d’accélérer la rénovation de la ville en suscitant, voire même en profitant d’entreprises stimulantes et polarisantes pour tout un quartier. ”
Opportunisme ? Le mot est faible. Il s’agit à mes yeux d’une démission, d’un manque de courage à assumer son rôle. L’épisode date d’il y a douze ans. Je crains que la tendance s’affirme.
Remarque en passant : la polémique liégeoise autour de la gare devrait bientôt s’éteindre : Un peu plus loin arrive la tour des finances… à laquelle il n’est pas sûr que l’on donne le nom de l’architecte qui l’a dessinée.