Avril-mai 2014

Dans la précédente livraison d’A+, un petit texte de Louis Tobback était mis en épingle, parmi d’autres. L’homme s’y indignait du prix de plus en plus inaccessible des habitations. Mais c’est avant tout le titre de l’article du quotidien d’où la tirade était extraite qui attira mon attention : Les logements sociaux ne doivent pas remporter de prix.
Le fait que je prenne cette déclaration comme point de départ n’est pas l’occasion de m’en prendre à monsieur Tobback. Tout au contraire, je pense même qu’elle aurait pu être prononcée en toute sincérité par bon nombre de mandataires publics, interpelés peut-être par l’expression de certaines réponses architecturales.
A la lecture de cette déclaration, il m’a semblé que son auteur considère que les critères qui doivent présider à la réalisation d’un bon logement social n’ont rien en commun avec ceux qui président à la conception d’une architecture « primable ». Et je crains que ce sentiment soit partageable (et partagé) par bon nombre de dirigeants, leaders, décideurs ou autres intervenants, notamment en matière de logement social.
Car, c’est bien connu, les critères de jugement pour l’attribution de prix, la reconnaissance par le monde de l’architecture voir même le classement de concours pour le choix de projets sont dans l’apparence, la beauté, l’originalité, là où l’usage (et l’usager) attendent du conséquent, de l’appropriable, du pragmatique (du praticable).
La mise en perspective de ce point de vue avec l’exceptionnel entretien que consacrent au même A+ les associés de 51N4E donne le vertige : Si elle ne change pas de cap maintenant, l’architecture risque de perdre toute pertinence.
C’est bien de pertinence qu’il s’agit, et 51N4E enfonce le clou en abordant la question de l’attribution des marchés publics d’architecture par concours. Jugés sur 10 points, les candidats y doivent régulièrement faire la preuve que leur projet s’intègre bien dans le cadre existant (pour 4 points), est remarquable du point de vue architectural (pour 4 autres) et fait preuve de créativité et d’originalité (pour les 2 restant). Lorsque je fais partie du nombre des candidats, il m’arrive fréquemment (et sincèrement) de demander au « pouvoir adjudicateur » ce qui est entendu par « architecture intégrée, remarquable, créative ou originale » (1). Je n’y ai jamais récolté que malaise, gène, embarras, et le sourire complice de quelques amis concurrents.
Définir des critères avec pertinence, c’est se contraindre à hiérarchiser les enjeux, disposition salutaire au moment d’établir un budget et de répartir des enveloppes (Pouvons-nous continuer à surenchérir dans tous les domaines ?). C’est aussi identifier et limiter les champs de jugement (Et ainsi cesser de souhaiter une chose et son contraire).
Trop souvent, la pertinence d’un projet n’est pas avérée, non par manque de compétence des intervenants, mais par manque de définition de nos critères de jugement et de choix.
Et si les critères qui permettraient de définir une intervention architecturale pertinente ne sont définis, rencontrés, évoqués, pris en compte, ni dans un concours d’architecture, ni dans le financement d’une construction, ni dans un permis de construire, je ne suis plus très sûr que l’architecture puisse nous rapprocher d’un devenir souhaitable…

(1)  Selon un angle d’attaque différent, Jean-Didier Bergilez identifiait dans A+ 218 la non-définition chronique de l’architecture contemporaine de qualité.